IMASANGO

IMASANGO



Imasango est née le 15 février 1964, à Nouméa. Sa généalogie familiale est à l’image des vagues de peuplement de la Nouvelle-Calédonie. Du côté paternel le savoir se puisait dans les livres, le regard tourné vers la culture occidentale, tandis que du côté maternel, c’est la puissance et la richesse de la tradition orale, et la richesse de la cosmogonie mélanésienne, qui lui fit découvrir l’ancrage de notre présence au monde et l’univers magique de la parole transmise. La poésie lui a permis de concilier deux visions antagoniques du monde et des racines de l’être, sans trahir ses ancêtres, et en restant fidèle à sa nature profonde. Métisse de sang, elle affirme l’être aussi des multiples rencontres et voyages qui ont jalonnés son parcours et ses soifs de découvertes. Ses études de khâgne et hypokhâgne la conduisent en France, puis en Espagne, Martinique avant de revenir enseigner l’espagnol en Nouvelle- Calédonie. Professeur en Lycée, à l’université et finalement en collège où elle choisit de s’investir pour guider et accompagner les adolescents de son pays, une jeunesse malmenée par les problèmes identitaires et socioculturels, creuset vivant de la mise en pratique du vivre ensemble.

Elle vit l’enseignement avec le même engagement lucide et bienveillant qu’en poésie. Imasango, membre de l’Association des écrivains de la Nouvelle-Calédonie, participe également à un projet de prévention de l’illettrisme dans les établissements scolaires du primaire de Nouvelle-Calédonie et demeure très impliquée dans le partage des cultures et la promotion de la poésie. Elle est l’auteure de sept livres de poèmes, dont le lyrisme sensuel, écrit Bruno Doucey, « interroge la part métisse de nos identités, rappelant que la poésie s’exprime toujours à tu et à toi. Dans la mangrove des passions, voix mêlées et corps emmêlés disent, avec une mystérieuse évidence, que les mots servent à tresser la natte de notre humanité ».

Et la natte de notre humanité, pour Imasango, c’est avant tout, même si ce n’est pas seulement cela : La Nouvelle-Calédonie, sa terre de l’océan Pacifique, à propos de laquelle, elle put adresser ce message fort, le 30 octobre 2018 : « À quelques jours du Référendum, notre vulnérabilité m’émeut et me bouleverse. La richesse humaine de cette île tient en sa mosaïque. Et si nous sommes français, nous ne sommes pas la France. Cultivons notre famille endémique, prenons soin d’elle, et ne rejetons pas l’autre. Enracinons-nous davantage dans cette beauté des différences et spécificités qui nous rassemblent autour d’un même amour pour cette terre qui nous a vu naître, qui nous a accueillis, allaités, amendés, et qui m’a offert des amis, des voisins, des visiteurs à découvrir pour s’épanouir davantage. Terre kanak, terre métisse, terre multiple. Une parcelle infime du monde. Ne brisons pas les liens qui nous unissent. Sachons grandir ensemble, encore… »

Quelques jours plus tard, le 4 novembre 2018, quelque 170.000 Calédoniens furent appelés à se prononcer sur l’avenir de leur archipel, français depuis 1853. « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » Rappelons, qu’en 1984, mécontents du nouveau statut préparé par le secrétaire d'État à l’Outre-mer et de l’évolution des dossiers sensibles, notamment fonciers, le Front de libération national kanak socialiste (FLNKS), décida de boycotter les élections territoriales, dressa des barrages sur les routes, mit en place un « Gouvernement provisoire de Kanaky » présidé par Jean-Marie Tjibaou avec pour but de préparer l’« Indépendance kanake socialiste » et de chasser les éleveurs Caldoches (descendants des premiers colons) de leurs exploitations. Les Kanaks représentent alors 60.000 habitants sur les 127. 000 que compte alors la Nouvelle-Calédonie.

Ce fut le point de départ de quatre années de conflits politiques et ethniques appelées les « Évènements », (1984-1988). Les affrontements entre opposants et partisans de l’indépendance débouchèrent sur la guerre civile. Le gouvernement central instaura l’état d’urgence et le couvre-feu. La violence culmina en 1988 avec la prise d’otages d’Ouvéa : des indépendantistes prirent d’assaut la gendarmerie d’Ouvéa et tuèrent quatre gendarmes, avant de prendre également en otages les 27 autres gendarmes de l’île. Le 5 mai 1988, l’assaut, par le GIGN, de la grotte de Gossanah, où les gendarmes étaient retenus en otage, se solda par la mort de 19 indépendantistes et de deux militaires. Pour apaiser les tensions politiques, des accords dits de Matignon furent signés le 26 juin 1988, attribuant un statut provisoire à la Nouvelle-Calédonie et prévoyant la tenue d’un référendum d’autodétermination à horizon dix ans. Ni les Kanaks, ni les Caldoches (les descendants des premiers colons), ni les métropolitains ne souhaitent revivre une tragédie comme celle des années 80.

Le référendum n’a réservé aucune surprise. Le non est majoritaire. La reprise du dialogue, comme le souhaite Imasango, entre communautés, sera crucial pour bâtir l’avenir, sans drame, sans humiliation ; car exploitation minière à ciel ouvert et à grande échelle, territoire sous-doté en infrastructures de base, exode rural, échec scolaire massif, suicides : la côte Est de la Nouvelle-Calédonie demeure un concentré des inégalités qui déchirent l’archipel. La région est peuplée presque exclusivement de Kanak. Le retour à la paix civile n'empêche pas le maintien de conflits sociaux et économiques souvent teintés d’enjeux politiques.

Imasango écrit, quant à elle : « Que cherches-tu sur cette terre que tu habites ? - Je cherche la parole du monde. »

Christophe DAUPHIN 

(Revue Les Hommes sans Epaules).

À lire : En chemin (La main qui parle, 2002), Parole donnée (La main qui parle, 2011), Pour tes mains sources (éditions Bruno Doucey, 2012), Le baiser des pas de nos silences (éditions La Margeride, 2013), Le poème est nomade (éditions La Margeride, 2013), Le souffle du silence (éditions La Margeride, 2016), Se donner le pays, Paroles jumelles, co-écrit avec Déwé Gorodé (éditions Bruno Doucey, 2016).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Poètes à TAHITI n° 47